La marque au Trèfle vert doit sa popularité en France à un homme qu’on ne présente plus : Marcel Seurat. Passé de plombier-chauffagiste à importateur de motos, le Marnais d’origine a largement contribué au développement de la « moto verte » dans l’Hexagone, mais aussi à la naissance d’une épreuve devenue mythique.
Par Éric POIRET, auteur des livres LE TOUQUET 45 ans d’Enduro et LE TOUQUET 50 ans – Les Héros de l’Enduro, parus aux éditions Solar
L’aventure commence en 1967. Depuis déjà belle lurette, Marcel Seurat traîne son physique imposant sur les circuits de vitesse et les courses de côtes, auxquelles il prend souvent part. Mais sa soif de découverte le pousse à explorer d’autres horizons, et en particulier le milieu du tout-terrain. Alors qu’il fréquente de plus en plus les réunions de motocross et de trial, le trentenaire-visionnaire ressent la passion débordante qui règne chez ces pilotes d’un autre genre, amenés parfois à s’affronter dans des conditions difficiles. Les compétitions poussent comme des champignons dans la campagne française et le chef d’entreprise perçoit le potentiel économique qui entoure toutes ces disciplines. Bien décidé à conjuguer sa passion et sa vie professionnelle, Marcel décide de se lancer dans l’importation de motos.


Connaissant la solide réputation des machines espagnoles, le natif de Tinqueux se rend au Salon de Barcelone où il rencontre les représentants de Bultaco. Si les Catalans ne sont pas à la recherche d’un importateur en France, ils invitent señor Seurat à se rendre sur le stand Ossa, où il pourrait peut-être trouver son bonheur. Le timing est parfait, car la marque au Trèfle vert vient de sortir des modèles 230 cm³ de cross et d’enduro. Pour les dirigeants hispaniques, le Francilien tombe à pic : il pourrait vendre et assurer la promotion de leurs machines de l’autre côté des Pyrénées. Affaire conclue ! La boutique de plomberie-chauffagiste du couple Seurat, installée à Argenteuil, devient le Centre de Sport Motocycliste. Marcel est désormais l’importateur officiel d’Ossa en France.
L’association Seurat-Vernier
L’année suivante, Marcel franchit les Alpes pour se rendre à San Pellegrino afin de participer aux ISDT (International Six Days Trial). S’il n’y brille pas, le nouveau revendeur Ossa revient conquis par cette épreuve multidisciplinaire et notamment par les spéciales d’enduro, qui sont encore mal connues en France. Son retour d’expérience incite d’autres pilotes français à se lancer dans l’aventure, mais ils restent peu nombreux à oser tenter le coup. Deux ans plus tard, un certain Jacques Vernier s’engage à ces véritables olympiades de la moto, qui se déroulent cette fois aux environs de Madrid. Ce dernier, plutôt catalogué comme crossman, et qui roule alors en qualité de pilote semi-officiel pour la marque tchèque CZ, tente sa chance sur une Ossa, en compagnie de Marcel Seurat, Alain Chaligne et Claude Thomas. Sans grande réussite pour chacun.
Basés tous deux en banlieue nord de Paris, Marcel et Jacques se connaissent bien, puisqu’ils fréquentent régulièrement les mêmes terrains de motocross. Le courant passe bien entre les deux hommes. Tellement bien qu’en 1971, Vernier devient pilote officiel d’Ossa en France, au sein de la Société de Mécanique Vernier-Seurat (SMVS). Et même le gendre de son associé lorsqu’il épouse la fille de ce dernier, Lysiane.
Puis, l’ex-champion de France Inter de motocross, millésime 1969, se tourne progressivement vers l’enduro. Au début des années 1970, Ossa développe en effet quelques machines pour cette discipline qui compte de plus en plus d’adeptes parmi les motards français, séduits par la possibilité de rouler librement en pleine nature, à une époque où la législation ne leur interdit pas encore. Sous l’impulsion de quelques passionnés, le Trophée de France d’enduro voit le jour en 1973, tandis que le premier championnat national est officialisé par la Fédération Française de Motocyclisme un an plus tard.
Le déclic
1973 voit aussi la projection du film On Any Sunday dans les salles obscures françaises. Rebaptisé Challenge One dans notre pays, ce film documentaire, financé par Steve Mc Queen, met en scène différentes épreuves motocyclistes filmées et commentées avec beaucoup d’humour par son réalisateur, Bruce Brown. Parmi elles, les courses de désert, où s’affrontent plusieurs milliers de participants, professionnels et amateurs confondus, sont les plus impressionnantes. Les vues aériennes montrant ces pilotes du dimanche, qui s’élancent conjointement en ligne avant de partir à l’assaut des terres arides et poussiéreuses de Californie, sont extrêmement spectaculaires. La scène finale du film montre Mc Queen et deux de ses compères, Mert Lawwil et Malcom Smith, en train de s’éclater sur la plage et dans les dunes d’un camp militaire californien. Les images du ballet joué par ces trois hommes sont tout simplement sublimes. Et elles sont inspirantes…
L’idée d’importer ce type d’épreuve en France vient alors à l’esprit de deux hommes : Marcel Seurat et Thierry Sabine. Le premier imagine une épreuve promotionnelle dans laquelle il compte bien s’investir ; le second est chargé par Léonce Deprez, le maire du Touquet, de créer des évènements dans sa station balnéaire et en particulier de « vaincre le désert de l’hiver », selon sa propre expression. En effet, rares sont ceux qui fréquentent la « Station des quatre saisons » durant les mois hivernaux.
De fait, le tourisme est à l’arrêt et Le Touquet somnole.
De son côté, la « moto verte »
De son côté, la « moto verte » est de plus en plus à la mode en France. Dans le Nord-Pas-de-Calais, certains de ses adeptes s’en donnent à cœur joie sur la plage et dans les dunes, notamment celles de la Côte d’Opale. Thierry Sabine et ses amis en font partie. Dès qu’ils en ont la possibilité, les motards verts sortent les trails et forment plusieurs bandes qui sillonnent les massifs dunaires du Touquet, mais aussi ceux de Stella-plage et de Merlimont, où la pratique est un peu plus discrète.
En février 1974, un challenge non officiel, qui sera rebaptisé « Enduro zéro » bien plus tard, est même organisé par Gilles Lamarre, l’un des fidèles lieutenants du futur créateur du Rallye Paris-Dakar. Petit à petit, les passages empruntés par ces pionniers des sables créent des circuits sauvages. Mais ces terrains peuvent-ils suffire pour accueillir une course « à l’américaine » ? C’est ici que Marcel Seurat entre dans le jeu.
« Je sais ce que je dois au Touquet » Marcel Seurat
Les comptes-rendus des réunions préparatoires au premier Enduro des sables du Touquet mentionnent l’importateur Ossa parmi les membres du comité d’organisation de l’épreuve. Celui-ci met notamment des machines à disposition de Thierry Sabine, qui peut ainsi convier certains de ses amis néophytes pour s’amuser, mais aussi pour tester leurs aptitudes à escalader ou dévaler des dunes. En novembre 1974, Marcel Seurat se déplace lui-même avec des pilotes de son écurie pour juger de la faisabilité d’une course de masse, mêlant amateurs et professionnels, et de l’intérêt sportif d’y participer pour ces derniers.
L’ex-plombier-chauffagiste débarque au Touquet
L’ex-plombier-chauffagiste débarque au Touquet en compagnie de Nicolas Samofal, Jacques Vernier ou encore Christian Cole. Emmenés par Gilles Lamarre et son ami Claude Fihman, les Ossa boys découvrent un terrain de jeu encore jamais emprunté lors d’une épreuve officielle, puisque les courses sur sable n’existent pas encore en France. Et l’essai s’avère concluant. L’Histoire est en marche. Le 16 février 1975, le signal de départ du premier Enduro des sables est donné à 286 pilotes de tous niveaux. Une heure trente plus tard, Jacques Vernier, sur sa Ossa 250 Desert, devient le premier vainqueur de l’Histoire, tandis que Nicolas Samofal s’empare de la troisième place. Marcel Seurat jubile : ce succès retentissant, relayé copieusement et plutôt avantageusement par la presse, y compris par le fameux quotidien L’Équipe, dope les ventes de Ossa dans l’Hexagone !
L’année suivante, Antonio Marcinyack et Fernando Alives font le déplacement d’Espagne pour représenter la marque, imités par Narciso Roca Torrent en 1977. Grâce à sa 5e place au classement scratch, le second nommé obtient le meilleur résultat d’entre eux. De leur côté, sans remporter un second succès au Touquet, Vernier et consorts entretiennent la bonne réputation des machines Ossa en s’octroyant quelques places d’honneur lors des trois premières éditions. Jean-Yves Titaire, par exemple, prend la troisième place de l’épreuve en 1976, tandis que le trophée de la catégorie féminine de cette même année est soulevé par une certaine…Lysiane Vernier ! La saga de l’Enduro du Touquet était née. Incontestablement, Marcel Seurat et Ossa ont écrit les premières pages de ce fabuleux scénario.






Auteur : Eric Poiret


Le Touquet, 50 ans, les héros de l’Enduro
De Eric Poiret
Portraits de celles et ceux qui ont écrit un demi-siècle de légende de l’Enduro du Touquet.
En 50 ans, des milliers de pilotes ont affronté courageusement l’épreuve mythique du Touquet.
Ce livre, richement illustré par de nombreuses photos inédites, leur rend hommage à tous ! Exploits, audace, participations insolites, tous les aspects de la course sont relatés à travers les portraits des Héros et des Héroïnes de l’Enduro. Quant aux légendes de la moto, comme Kees van der Ven, Arnaud Demeester ou la famille Potisek, ainsi que les as du quad, ils figurent évidemment en bonne place, dans cet ouvrage qui célèbre la plus grande course sur sable du monde.